« Le Comte de Monte-Cristo est un grand livre sur la justice. »
Vanessa Codaccioni
En 1815, à la chute de Napoléon, Edmond Dantès est victime d'une machination qui le conduit à passer quatorze années en prison au château d'If. De là naît un profond désir de vengeance, ressort de multiples intrigues ourdies par le personnage entre Marseille, Rome et Paris. Véritable roman de formation, Le Comte de Monte-Cristo est aussi une description sans fard des mondes sociaux qui s'affrontent jusque dans les mécanismes judiciaires.
C'est précisément comme un traité sur la justice que Vanessa Codaccioni, spécialiste des politiques de répression de l'État, entreprend de relire le récit. Le ressaisissant comme un réquisitoire implacable contre l'arbitraire, elle souligne, dans ce premier volume, les rouages d'une justice tout entière animée par la punition des « ennemis de l'intérieur ». Ce sommet du roman d'aventure apparaît alors comme un manifeste intemporel pour l'État de droit.
« Combien d’Edmond Dantès ont subi, subiront ou subissent une répression injuste et arbitraire en raison d’une dénonciation anonyme et mensongère ? »
Vanessa Codaccioni
Avec ce second volume, Edmond Dantès poursuit et accomplit son entreprise vengeresse. Une tonalité, plus sombre et tourmentée, affleure et tous les moyens pour se faire justice sont mis à exécution. Alexandre Dumas ausculte ainsi la justice privée, ses motivations, ses effets autant que ses zones d’ombre.
Prenant l’auteur au mot, la politiste Vanessa Codaccioni examine toute la gamme de l’auto-justice qui s’y dépeint, de la légitime défense à la mise en œuvre contemporaine d’une société de vigilance. Le Comte de Monte-Cristo apparaît dès lors comme un observatoire implacable des usages politiques de la peur.
"Obscurantisme religieux, radicalités anarchistes, tentations terroristes, arrogance capitaliste, désespérance sociale, corruption médiatique : tout ce qui se bouscule dans Paris nous parle encore."
Edwy Plenel
Après sa fresque des Rougon-Macquart, Émile Zola commence sa trilogie des Trois villes, dont le trop méconnu Paris constitue le dernier volume. Publié en pleine affaire Dreyfus, ce roman a pour protagonistes la foi et ses croyances, l'idéal et ses perditions, la modernité et ses corruptions. Il propose ainsi une passionnante chronique sociale d'un régime républicain en crise.
Cette nouvelle édition offre à EDWY PLENEL, journaliste et cofondateur de Mediapart, l'occasion de rappeler, en suivant le chemin de vérité emprunté par Zola lui-même, combien la République est et doit rester un champ de batailles.
Présentation par Hélène L'Heuillet
« Les Confessions permettent d'atteindre la vérité de la vie elle-même à travers le sentiment de vivre. »
« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi », déclare Jean-Jacques Rousseau en ouverture de ses Confessions, devenues monument de la littérature. À rebours de lectures momifiantes, il s'agit de retrouver la charge vitale de l'écriture de soi qu'y manifeste Rousseau.
Loin de tout psychologisme, la philosophe et psychanalyste Hélène L'Heuillet nous fait ainsi entrer dans cette oeuvre prodigieuse en rappelant combien un « je » est toujours divisé. Pour saisir la bigarrure et les brisures de chaque subjectivité, elle souligne les vertus de la méthode rousseauiste qu'on peut résumer à cette question toujours nécessaire à poser, à la fois simple et vertigineuse : « comment est-ce arrivé ? »
L'histoire est simple comme son titre : Victor Bâton est à la recherche de ses amis. De ceux qui pourraient le devenir tout du moins, car il enchaîne les rencontres, éperdument, et sans succès. Sont-ce pour autant des échecs ? Car Bâton n'est pas un héros : c'est un homme, seul, vivant dans la précarité autant que dans l'oisiveté. Il persiste pourtant en lui une force qui ne cesse d'irradier, à l'image de l'oeuvre d'Emmanuel Bove dont la postérité court secrètement jusqu'à nous tant son ultra moderne solitude garde un siècle plus tard toute sa vivacité.
La preuve en est que tout le travail d'Éric Chauvier, anthropologue et écrivain, est habité de part à part par la discipline existentielle de Mes Amis. Il lui rend ainsi hommage dans un texte où il fait miroiter par un puissant jeu de réécriture la puissance politique intacte d'une vie qui vaut d'être vécue à condition de ne pas trouver sa place. Une vie où il ne saurait être question de projet et de victoire, mais bien plus des aptitudes que nous déployons pour nous ajuster à nos contemporains.
« L'oeuvre de Bove se garde de toute grandiloquence et se tient éloignée de tout ce qui constitue le grand genre littéraire. C'est comme si elle avançait de détail en détail et que le lecteur se retrouvait en définitive piégé, comme si son propre portrait se dessinait à travers ce qui ne semblait que de simples coups de crayon dont il n'imaginait pas que, à les rassembler, ils aboutiraient à quelque chose de si ressemblant. C'est comme si, à cause de ou malgré son humour, l'oeuvre de Bove finissait par faire peur, à frapper si juste. » Libération
« Stendhal révolutionnera l'histoire dès lors qu'on saura le lire depuis un temps à venir. »
Patrick Boucheron
Ce recueil de quatre récits, où s'entremêlent passions et assassinats, est une ode à l'Italie. Stendhal, qui s'est directement inspiré de manuscrits du XVIe siècle pour les composer, y fraye comme jamais avec l'histoire. Persuadé que la Révolution française n'a pas encore produit son effet sur la littérature, il fait de ces « historiettes romaines » le terrain d'exploration de lui-même en se reliant aux écritures passées.
Patrick Boucheron répond ici au défi que l'écrivain lançait aux historiens de profession. Il décrypte ainsi le pas de deux que mènent, aujourd'hui comme hier, discipline historique et invention romanesque. Il souligne en particulier combien ces textes font écho à nos questionnements sur les discours de vérité.
"Rarement, lorsqu'on évoque les Trois contes, il nous vient en tête que le pays de Flaubert est un empire colonial."
Aurélia Michel
Dernière publication achevée de Flaubert, ces trois courts récits sont comme des précipités de toute l'oeuvre de l'auteur : de la campagne normande du xixe siècle vécue à travers la vie de la domestique Félicité à l'Antiquité de la reine Hérodias, en passant par le Moyen Âge de saint Julien l'Hospitalier, les destins de ces figures exemplaires offrent un vertigineux voyage dans le temps et dans l'espace.
L'historienne AURÉLIA MICHEL en propose une lecture décapante. L'un des auteurs phares de la modernité littéraire européenne devient ainsi le subtil observateur de l'invasion des imaginaires par l'ordre racial ; il en rend lisible aussi les ravages. Longtemps considérés comme l'aboutissement d'une trajectoire créatrice, les Trois contes deviennent ainsi un document incontournable pour reconstruire nos visions du monde.
"La littérature permet de s'évader non seulement de sa maison ou de son pays, mais aussi de son époque, de sa condition sociale, et même de son âge ou de son sexe."
Alain Supiot
En 1721, Montesquieu dresse avec son roman épistolaire Lettres persanes le portrait critique de son époque. Sous couvert d'un regard étranger factice, il manifeste d'ores et déjà l'esprit des lois qui l'occupe tant quelques années plus tard.
Juriste, ALAIN SUPIOT prolonge le geste tourbillonnant des correspondances en envoyant quelques lettres au philosophe. En portant un regard implacable sur notre présent, il met au jour les chaînes secrètes qui nous relient à ce magistral exercice d'anthropologie inversée.
"Janvier 2021, sur un large mur parisien, s'affichait ce slogan manifeste, "l'amour est déclaré". Je me demande si ce n'est pas ce qu'il s'est passé, au début du XIXe siècle."
Geneviève Fraisse
En 1822, pour se remettre d'un amour déçu, Stendhal ausculte les tours et détours de l'amour : après la passion des débuts qu'il nomme « cristallisation » viennent inévitablement les douleurs. Et pourtant l'amour reste, encore et toujours, un horizon de bonheur, cette « idée neuve » que déclare Saint-Just en pleine Révolution française.
À l'aune de la pensée féministe qu'elle a portée, la philosophe GENEVIÈVE FRAISSE entreprend une relecture politique de l'ouvrage. On découvrira ainsi des chemins possibles pour des sentiments plus démocratiques.
Marguerite de Valois, c'est la reine Margot d'Alexandre Dumas. Mais cette légende a recouvert celle qui fut Marguerite de France et dont la vie épousa les soubresauts de la fin du XVIe siècle. Marguerite de Valois fut tout autant femme politique, autrice, mécène et eut une influence immense sur son époque. On ne le sait pas, mais elle fut la première femme à écrire ses Mémoires au sens du genre romanesque qui a connu par la suite un développement remarquable. Celles-ci rencontrèrent en leur temps un succès posthume considérable.
En les rééditant aujourd'hui, Eliane Viennot, l'une des plus grandes exégètes de l'oeuvre de Marguerite de Valois, entend redonner toute sa place de pionnière à Marguerite de Valois dans les histoires de la littérature et du féminisme. Autrement dit, il s'agit bien de la faire revenir parmi nous pour qu'elle vienne enrichir et épaissir nos récits pour l'avenir et par là même participe à la déconstruction du monopole masculin sur les fonctions de pouvoir. Bref que Margot redevienne vraiment reine en notre royaume.
« L'univers de Balzac est celui de cette porosité où le plus trivial acquiert une dimension visionnaire. »
Jean-Christophe Bailly
Le Père Goriot est un des joyaux de La Comédie humaine, cette vaste entreprise romanesque avec laquelle Balzac entend réaliser une « hisÂtoire naturelle de la société ». On y croise une galerie d'hommes et de femmes du Paris de la Restauration. On suit surtout Eugène de Rastignac qui fait ici son initiation : archétype du jeune homme provincial porté par son ambition, il se lie au truculent et démoniaque Vautrin ainsi qu'à Goriot, figure bouleversante d'un vieux père dévoré par la passion pour ses filles. Emporté par le souffle romantique du dépassement des genres, ce roman haletant constitue la matrice du grand-oeuvre balzacien.
C'est là tout le propos de Jean-Christophe Bailly qui, retraversant la trame du récit, en souligne l'implacable effet de réel. La quête des vanités s'y révèle l'ultime mesure humaine.
En suppléments, les deux préfaces de Balzac et sa nouvelle Facino Cane.
Giphantie de Charles Tiphaigne de la Roche est un texte méconnu que seuls quelques passionnés jusqu’à présent ont lu. Cette édition est l’occasion de découvrir cet étonnant roman d'anticipation et il n’est que temps : c’est toute l’histoire jusqu’à aujourd’hui qui peut être remise en ordre. Ainsi y lira-t-on la description de ce qu’on a appelé plus tard la photographie, mais on y croise aussi les lentilles de contact… et s'y annonce l’ère de la mésinformation et la culture de la vigne en Normandie dont le réchauffement climatique de la Terre nous montre que ce n’est plus un horizon lointain. C’est bien cet enjeu qui au fond emporte tout sur son passage : Charles Tiphaigne de la Roche fait voir ce que notre présent a pris l’habitude de penser sous le nom de Gaïa - la Terre - comme un corps fait d’une « zone critique » où les espèces se retrouvent.
Yves Citton, inconditionnel et l’un des rares spécialistes de ce texte, y souligne combien, par les prodiges de l’imagination, dès 1760 s’énonçait déjà ce qui fait notre condition de vivants dans les ruines du capitalisme. Avec ce roman d’anticipation, c’est toute notre cosmologie qui apparaît depuis l’espace, comme nous sommes capables de le voir maintenant comme jamais.